Liquidation de H4D : quel avenir pour la télémédecine en France ?

Le jeudi 26 septembre dernier, la société H4D, conceptrice de cabines sophistiquées de téléconsultation, a été placée en liquidation judiciaire par le Tribunal de Commerce de Paris. Des difficultés financières avaient pris le dessus depuis de nombreux mois, et malgré plusieurs tours de financements significatifs depuis sa création, puis des refinancements liés à des pertes annuelles successives, la société avait été déclarée en cessation de paiements peu avant l’été.
La fin des télécabines H4D annonce-t-elle celle de tout un secteur, ou simplement d’un modèle spécifique ?
Pour répondre à cette question, il faut se replonger dans les différents modèles économiques des sociétés de téléconsultation, et dans les évolutions réglementaires successives insufflées par les pouvoirs publics au fil des années.
La télémédecine … avant son remboursement par les pouvoirs publics
H4D a été fondée en 2008, dix années avant la prise en charge des téléconsultations par l’Assurance Maladie. Le modèle est innovant, et les cabines de télémédecine, futuristes, impressionnent à une époque où la notion de « désert médical » prend une place particulière dans le débat public. Malgré des obstacles réglementaires et oppositions de principe par certaines structures à tendance conservatrice de notre pays, la société développe sa notoriété, en particulier auprès des élus locaux et institutionnels. L'UGAP – Union des Groupements d'Achats Publics – lance même un appel d'offres pour équiper les mairies françaises de cabines de téléconsultation, que la société H4D, seule candidate, remporte en 2017. En parallèle, la société déploie une force commerciale afin de convaincre des grands groupes – majoritairement du CAC 40, implantés en région parisienne – de déployer ses dispositifs au sein de leurs sièges. Ces grandes entreprises y voient un intérêt QVT et une image de marque renforcée, tandis que les élus locaux finissent par se résoudre à la possibilité d’une offre de soins digitale, après des années d’efforts vains pour attirer des médecins en désert médical.
Le modèle économique repose sur la vente de cabines de télémédecine très sophistiquées, munies de 13 objets connectés – dont certains très spécifiques, comme des tests auditifs, ou un ECG -, à des prix avoisinant les 100,000€ (hors maintenances prédictives, préventives et certaines garanties). L’usage des télécabines, faible à l’époque –pré-Covid, pré-remboursement par les pouvoirs publics – favorise la rentabilité, la société s’engageant à une certaine disponibilité médicale, en échange de la rémunération d’une structure externe composée de médecins, facturant leurs actes aux patients. Le modèle est alors jugé vertueux : le faible usage, associé à la vente de matériel coûteux et sophistiqué, permet de réaliser d'importantes marges.
En parallèle, les mutuelles ont depuis des années mis en place en inclusion dans leurs offres des solutions de téléconsultation, souvent sous la forme de « packages ». Les adhérents ont droit à 2, 3 ou 4 téléconsultations par an, sans nécessité de débourser quoique ce soit. Les arguments de vente par les courtiers et mutuelles aux entreprises sont nombreux, la téléconsultation est une option qui plaît, et les offres se multiplient. Seulement, comme dans le cas d’H4D, la rentabilité de l’offre est inversement proportionnelle à l’usage ; les mutuelles salarient et rémunèrent une disponibilité médicale – par téléconsultation réalisée ou pour des heures de présence -, tandis que la tarification se fait par an et par adhérent. Le service existe, mais il faut éviter qu’il soit trop utilisé. Une fois la mutuelle en place, les communications sur le service se font ainsi discrètes, afin d’éviter une flambée des coûts.
Pour les offres de téléconseil des mutuelles, comme pour les télécabines H4D, le modèle est le même : il est d’autant plus vertueux que l’usage des patients est faible.
Septembre 2018, le début d’une nouvelle ère
Le 15 septembre 2018, l’avenant 6 à la convention médicale acte la remboursabilité de la téléconsultation médicale, au même niveau qu’une consultation en cabinet, et pour le même tarif. L’Assurance Maladie et les pouvoirs publics ont pris pleinement conscience de la nécessité d’avancer en santé numérique, et de rattraper le retard de la France par rapport à ses homologues américains ou nordiques.
L’usage reste cependant faible, quelques dizaines de milliers d’actes la première année, et la société H4D continue de se développer tandis que les mutuelles bénéficient de la notoriété de la télémédecine pour continuer à vendre des offres en inclusion.
Cependant, le secteur est en pleine transformation, et de nombreuses sociétés de téléconsultation voient le jour, avec des modèles plus ou moins variés. Medadom, initialement orientée sur les soins non programmés à domicile, pivote et transforme son offre en une offre de téléconsultation, d’abord pour les patients chez eux, puis au sein de bornes et cabines de téléconsultation en pharmacie. Qare et Livi, filiales de sociétés étrangères (Qare by HealthHero, UK, et Livi by Kry, Suède) font le choix de la téléconsultation à domicile, plébiscitée dans leurs marchés locaux respectifs. Medaviz et MédecinDirect – filiale de Teladoc (acteur américain) – maintiennent leurs offres en inclusion pour les mutuelles. Du côté des sociétés françaises, Tessan développe une offre proche de celle d’H4D, avec des télécabines onéreuses munies de nombreux objets connectés. Des offres d’agendas de téléconsultation émergent aussi, à l’image de Doctolib.
Les modèles sont alors multiples : offres en inclusion dans les mutuelles, solutions d’agendas en ligne, sociétés de matériel de téléconsultation, offreurs de soins avec médecins salariés, ...
La crise COVID, un catalyseur du marché
Début 2020, la crise COVID catalyse le marché. Les pouvoirs publics communiquent massivement sur la nécessité de rester chez soi pour ne pas encombrer les cabinets médicaux et les services d’urgence, ou de se déplacer en pharmacie pour téléconsulter. Les sociétés de téléconsultation voient leur usage se développer massivement, les patients s’approprient ce nouveau mode de consultation, tandis que les professionnels de santé finissent par accepter que l’absence d’examen clinique – mais avec un interrogatoire précis et des protocoles établis structurés – peuvent dans certains cas répondre à une demande de soins non programmés des territoires. Les financements de l’écosystème se font nombreux, la télémédecine est un secteur porteur, et H4D lève 15 millions d’euros à l’été 2020.
Pour autant, la concurrence sur le marché s’amplifie, et MEDADOM, qui se définit comme un « offreur de soins », et dont le modèle repose sur une communauté médicale de médecins salariés, et non sur la vente de solutions matérielles, propose des dispositifs de téléconsultation à coûts drastiquement plus faibles – moins d’un dixième du prix des télécabines H4D -. Les dispositifs proposés sont dans un premier temps des bornes, adaptées à un environnement à faible espace comme des pharmacies ou autres lieux de soins ; ils sont abordables pour le pharmacien, et lui permettent de fidéliser sa patientèle et de proposer un accès aux soins sur son territoire, rôle parmi d’autres d’acteur du soin devenu indispensable avec les années.
Le déploiement est rapide, plusieurs milliers de dispositifs sont installés, et l’UGAP, qui a renouvelé son appel d’offres en 2021, choisit alors les nouvelles cabines MEDADOM pour succéder à H4D.
L’usage des patients, et la remise en question des modèles
L’augmentation des usages en téléconsultation (de moins de 0.1% des actes en 2019 à près de 5% des actes post-COVID), change la donne pour les modèles économiques des sociétés.
Les modèles de tarification par adhérent et par an – Medaviz, et MédecinDirect racheté par Teladoc – qui favorisent un usage faible, mettent alors en difficulté les mutuelles.
La société H4D de son côté, voit ses usages, même s’ils restent mesurés – nécessité de rendez-vous préalable par le patient, horaires de consultation réduits en collectivités, population âgée – augmenter légèrement, ce qui nécessite d’augmenter contractuellement la capacité médicale de ses partenaires. La concurrence du secteur, et les dispositifs à bas coûts proposant une disponibilité médicale accrue qui ont émergé sur le marché, entravent le développement de la société, qui se heurte à des cycles de ventes institutionnels et privés longs et complexes. L’horizon de rentabilité espéré s’éloigne, les ventes s’amenuisant et les coûts de fonctionnement augmentant en parallèle.
La réglementation du secteur avec l’agrément de Société de Téléconsultation, votée dans le PLFSS 2023 et mise en application en avril 2024, aura finalement raison de ce modèle. La marche réglementaire est trop importante, et le développement par H4D de nouveaux dispositifs – borne, console – arrive trop tard pour concurrencer des acteurs déjà bien implantés.
Un modèle, des modèles ?
Il est finalement important de souligner que la liquidation de la société H4D n’acte pas la fin des modèles des télécabines, ou même des sociétés de téléconsultation au sens large. Elle acte cependant la fin des modèles misant sur un faible usage par les patients, et sur l’absence d’offre médicale disponible. Les collectivités, les pharmacies, les patients, ne cherchent pas une technologie ; elles cherchent un professionnel de santé, une prise en charge, un accès aux soins.
Au-delà de la fin des abus et dérives observés en particulier pendant la crise sanitaire, la régulation du secteur par les pouvoirs publics permettra de consolider le marché de la télémédecine. Elle fera émerger les offreurs de soins digitaux de demain, en capacité de répondre à la demande croissante des patients.