Qui ne s’est jamais senti coupable d’avoir mangé une barre chocolatée à la place d’un « vrai » repas ou de ne pas avoir mangé de légumes de la journée ?
Aujourd’hui, les messages incitant à mieux manger et à surveiller son poids sont omniprésents. Ne pas les respecter est alors perçu comme une faute et la culpabilité alimentaire survient.
Pourtant, cette culpabilité est source de risques pour la santé et pour le poids. Est-ce toutefois une fatalité ?
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La culpabilité alimentaire n’a pas de définition officielle. Toutefois, il est intéressant de se pencher sur la définition de la culpabilité. La culpabilité est en effet à la fois l’état de quelqu’un qui se rend coupable d’une infraction ou d’une faute, mais également le sentiment de faute ressenti par un sujet, que celle-ci soit réelle ou imaginaire.
Ainsi, la culpabilité alimentaire rentre dans cette deuxième définition puisque l’acte de manger est un acte nécessaire à notre survie. Manger n’est donc pas une faute et la culpabilité ressentie est donc secondaire à une faute imaginaire.
Habituellement, la culpabilité alimentaire se manifeste lorsque l’on consomme des aliments que l’on considère mauvais pour la santé ou « grossissants » alors que l’on essaye de contrôler son alimentation dans le but de perdre du poids ou ne pas en prendre, ou bien d’être en meilleure santé.
Dans le cas de certains troubles des conduites alimentaires, la culpabilité alimentaire peut également venir de tous les aliments, si tous sont considérés comme « mauvais ».
À l’origine de la culpabilité alimentaire, on retrouve donc l’intention de contrôler mentalement son comportement alimentaire dans le but de maigrir ou de ne pas grossir. On appelle communément cette intention la « restriction cognitive ».
La restriction cognitive aurait été décrite pour la première fois en 1975 comme « l’attitude des sujets qui limitent délibérément leur consommation dans le but de perdre du poids ou pour éviter d’en prendre ».
En d’autres termes, la restriction cognitive est la tendance à penser que l'on peut contrôler son alimentation pour contrôler son poids.
Le Dr Jean-Philippe Zermati, co-fondateur du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids, définit ainsi plusieurs stades de la restriction cognitive :
La restriction cognitive, à l’origine de la culpabilité alimentaire, a été initialement observée chez les sujets obèses. Plus tard, ce phénomène s’est répandu à tous les individus qui suivent ou ont suivi un régime amaigrissant, indépendamment de leur poids. Ainsi, la restriction cognitive touche aujourd’hui les personnes souffrant d’insatisfaction corporelle, soit une part importante de la population (l’étude INCA2 avait par exemple révélé que 60% des femmes adultes et 47% des adolescentes françaises souhaitaient peser moins), mais aussi les personnes soucieuses de « bien manger ».
Aujourd’hui, les messages incitant à la restriction cognitive sont partout ! Dans les campagnes de santé publique concernant le poids, dans la grossophobie sociétale, ainsi que dans les conseils des magazines pour retrouver un « summer body » avant l’été.
En effet, la restriction cognitive est le traitement le plus préconisé dans le monde pour prévenir ou guérir le surpoids et l’obésité, malgré des décennies de recherches prouvant ses méfaits.
Pourtant, selon certains experts, la restriction cognitive serait la seule solution envisageable pour pallier à la surabondance alimentaire et il suffirait d’adopter une restriction flexible plutôt que rigide. Dans la pratique, une restriction, qu’elle soit flexible ou rigide, reste une restriction et engendre de la culpabilité alimentaire et ses conséquences.
La restriction cognitive consiste concrètement à faire passer, avant les sensations et émotions alimentaires (les signaux indiquant nos besoins réels), les informations cognitives, dont les croyances alimentaires, telles que :
Ainsi, l’intention de contrôler mentalement son alimentation se fait au détriment des signaux physiologiques et donc des besoins. En effet, lorsque l’on cesse de sélectionner les aliments en fonction du plaisir qu’ils vont nous procurer et que l’on commence à faire des choix à partir de ce que l’on sait (ou croit savoir) sur leurs propriétés « diététiques », on crée des déséquilibres nutritionnels.
De plus, il faut alors faire des efforts permanents pour ignorer les signaux du corps lorsque l’on est en restriction cognitive, et les pensées autour de l’alimentation peuvent devenir obsessionnelles.
Il naît de cette lutte : une frustration, des pertes de contrôle, et une surconsommation alimentaire.
Herman et Polivy, deux chercheurs sur le comportement alimentaire, avaient ainsi décrits ces phénomènes comme une alternance d’inhibition (volonté de contrôle mental) et de désinhibition (ou de « lâcher-prise ») lorsque le contrôle ne pouvait plus tenir (accès hyperphagiques, boulimies, compulsions…).
D’ailleurs, selon Le Barzic, « la restriction cognitive […] conduit à manger paradoxalement plus et plus mal quand on cherche à manger moins, en même temps qu’elle dégrade l’estime de soi et l’humeur des sujets au détriment de leur relation avec leur entourage ».
La prise de poids est alors imputée à ce moment de désinhibition (ou « craquage », comme il est fréquemment appelé), alors que le vrai problème se situe dans la restriction qui a généré cette perte de contrôle. Et plus la restriction cognitive est forte, plus l’effet de transgression du régime l’est aussi.
Au final, la restriction cognitive risque de provoquer le résultat inverse de celui initialement recherché : les consommations alimentaires augmentent, et le poids avec.
Or, les fluctuations de poids (le fameux effet « yo-yo ») sont associées à un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires et d’autres désagréments (reflux gastro-œsophagiens par exemple).
Au-delà de la culpabilité alimentaire, on retrouve donc de nombreux impacts sur la santé physique et mentale de la restriction cognitive :
Se débarrasser de la restriction cognitive et mettre fin à la culpabilité alimentaire n’est pas une mince affaire !
Ce travail sur le comportement alimentaire comprend plusieurs volets :
En effet, pour lutter contre la culpabilité alimentaire, il est essentiel de remettre en question toutes les croyances alimentaires issues de notre éducation, des messages de santé publique et des régimes suivis, afin de se recentrer sur la seule chose essentielle : nos besoins.
Manger « normalement » est donc de manger selon nos envies et nos besoins, en recherchant un maximum de plaisir, et ce, sans culpabilité liée à l’alimentation.
En d’autres termes, respecter ses besoins consiste à :
Ce travail nécessite parfois un accompagnement par un professionnel de santé formé à l’approche comportementale de l’alimentation : médecin (généraliste ou spécialiste), diététicien, psychologue…
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Propos écrits par Amanda Huguet-Millot, Diététicienne-Nutritionniste et Ingénieure en Alimentation & Santé
Sources :